Ounamir

Gilles Bizouerne

[NS] dans la région du sud au Maroc il y a un endroit qu’on appelle le Souss. chaque matin il y a un enfant qui se lève avec le soleil qui traverse son village qui passe dans les ruelles de la médina et qui se rend à la mosquée il s’appelle Ounamir. un matin alors qu’il est juste euh sur le perron de la mosquée son fkih son maître l’arrête et lui dit [end]

[DD] Ounamir pourquoi est-ce que tes mains sont-elles teintées au henné avec des signes sacrés? [end]

[fDD] je ne sais pas maître. chaque soir je rentre chez moi je me lave les mains et elles deviennent blanches et chaque matin lorsque je me réveille j’ai des signes sacrés des signes au henné [end]

[fDD] écoute-moi bien mon enfant ce soir tu vas rentrer chez toi et tu feras semblant de dormir [end]

[NS] la journée est passée. quand le soir est arrivé Ounamir est rentré dans sa maison il a ôté sa djellaba il s’est glissé dans ses draps et il a fait semblant de dormir. la nuit est venue avec elle la pleine lune et ses sœurs les étoiles. quand tout à coup il y a trois colombes qui sont venues se poser sur le rebord de la fenêtre d’Ounamir. alors il a ouvert délicatement une paupière il a vu que ces trois oiseaux se changeaient en trois femmes la première a dit [end]

[DD] ce soir ce soir c’est moi qui lui laverai les mains [end]

[NS] la seconde [end]

[DD] [intake breath] et bien moi je dessinerai les signes sacrés au henné [end]

[NS] et la dernière [end]

[DD] je soufflerai pour faire sécher [end]

[NS] la première de ces femmes qui était belle s’est avancée et a commencé à humidifier ses doigts délicatement comme la rosée le fait sur les pétales des fleurs. puis elle s’est mise sur le côté et la seconde bien plus belle que la première est arrivée elle a commencé à dessiner des signes sacrés au henné avec la précision du scribe qui écrit sur un parchemin puis elle s’est écartée à son tour. est arrivée la dernière. Ounamir l'a contemplée elle s’est mise devant ses mains et elle a commencé à souffler tout doucement tout doucement et Ounamir sentait son cœur battre. que fallait-il faire ? il était tiraillé entre l’envie d’attraper cette femme ou la laisser partir et puis au bout d’un moment n’en pouvant plus [exclamation=ha] il a attrapé ses poignets il lui a dit [end]

[DD] qui es-tu toi? [end]

[NS] à cet instant précis les deux autres femmes se sont retransformées en oiseaux et se sont envolées par la fenêtre. la jeune femme dont il maintenait les poignets a hurlé [end]

[DD] laisse-moi partir laisse-moi mon ami je suis un ange d’Allah. [end]

[NS] lui il l’a regardé (il) lui a dit [end]

[DD] non [sigh=heuh] non reste avec moi [end]

[NS] puis il a desserré ses mains pour ne pas lui faire de mal il était peut-être déjà habité par l’amour mais la maintenant prisonnière il a baissé son regard car il n’osait croiser ses yeux puis il a regardé la plante de ses pieds il lui a dit [end]

[DD] reste avec moi reste avec moi [end]

[NS] il a commencé à monter le long de ses genoux ses fines hanches sa légère poitrine il lui a dit [end]

[DD] reste avec moi reste avec moi [end]

[NS] il a regardé ses lèvres qu’il avait envie d’embrasser ses yeux où il pouvait presque y lire la divinité il a dit [end]

[DD] est-ce que tu veux devenir ma femme? [end]

[NS] alors l’ange d’Allah l’a regardé elle a écouté ses paroles qui venaient du cœur et elle a dit [end]

[DD] oui à une condition. tu feras construire sept ksars des châteaux les uns sur les autres dans le dernier des ksars tu feras sept chambres les unes derrière les autres. dans la dernière des chambres je serai il n’y a que toi qui auras le droit de me voir. si un jour un autre humain homme femme vieillard m’aperçoit je m’en irai [end]

[NS] Ounamir a accepté et avec ses mains et je ne sais quelle force il a commencé à monter des monticules de pierres les uns sur les autres. la hauteur du ksar touchait presque les nuages et il en a fait sept les uns sur les autres et les chambres les unes derrière les autres et il y a placé sa bien-aimée. chaque jour il venait la voir. au début pour se parler gentiment pour apprendre à se connaître puis ensuite pour se rapprocher l'intimité pour se caresser et puis pour faire l’amour et vivre comme deux aimés. un matin alors qu’Ounamir était en train de manger avec sa mère celle-ci lui a dit [end]

[DD] mon fils pourquoi est-ce que depuis des semaines tu mets des poignets de semoule et des morceaux de viande dans les poches de ta djellaba ? [end]

[fDD] [narrator chuckles=ah] mère c’est [narrator chuckles] c’est pour la chasse pour attirer le gibier [end]

[fDD] ah [end]

[NS] elle ne l’a pas cru elle connaissait bien son enfant il a pris son cheval et il est parti pour la chasse. sa mère elle l’a suivi en courant derrière. oui. au bout de quelque temps elle s’est cachée derrière un arbre et elle a vu son fils descendre de cheval et rentrer dans un ksar immense elle n’avait pas le souvenir qu’il existait une telle bâtisse en cet endroit deux bonnes heures sont passées. Ounamir est ressorti du château il a repris sa chevauchée il est parti à la chasse. alors sa mère est arrivée au niveau de la porte du ksar et elle a essayé de l’ouvrir c’était fermé elle a cherché la clef mais ne l’a point trouvée alors elle s’est retournée vers chez elle et elle a pensé à sa basse cour elle s’est mise à crier [end]

[DD] poules poules poules [end]

[NS] et toutes les poules de sa basse cour sont arrivées elles se sont groupées à ses pieds et elle leur a dit [end]

[DD] il faut me trouver la clef [sound effect=cherche poules cherche poules cherche poules cherche ] [end]

[NS] les poules ont commencé à chercher [sound effect=cherche poules cherche poules cherche poules cherche] les poules ont cherché mais ce n’est pas elles qui ont trouvé c’est le coq borgne en plus qui l’a prise dans son bec il l’a amenée à la mère d’Ounamir qui l’a glissée dans la serrure et elle a pu entrer dans le premier château. là tout de suite elle a vu une seconde porte elle a regardé la hauteur du plafond et elle était fort impressionnée mais la curieuse elle a voulu aller voir. et ainsi de suite sept portes elle a franchi les unes derrière les autres puis ensuite elle a vu une autre porte mais sur le côté cette fois-ci plus petite de chambre vraisemblablement alors elle y est entrée et ainsi de suite jusqu’à la dernière. quand elle est arrivée à la porte de la septième chambre elle a mis ses mains sur la poignée et à peine l’avait-elle entr’ouverte qu’elle s’est écrié [end]

[DD] par Allah que mon fils a de la chance d’avoir une femme aussi belle que toi [end]

[NS] l’ange l’a observée et lui a dit [end]

[DD] par Allah que ton fils a de la malchance d’avoir une mère aussi curieuse que toi [end]

[NS] et elle a commencé à pleurer. la mère d’Ounamir ne savait que faire elle a vu les gouttes d’eau salées descendre rapidement puis former une flaque qui ne s’étendait pas mais qui montait en profondeur et en hauteur alors elle est sortie de la pièce sans comprendre et elle est remontée à la surface et elle est partie en courant. à ce moment-là son fils rentrait de la chasse il a vu sa mère partir et il a compris qu’il s’était passé quelque chose il a franchi les portes les unes après les autres un deux trois quatre cinq six sept il est arrivé à la première porte de la première chambre et il a fait de même jusqu’à la dernière il a poussé la porte de la septième chambre et il a vu une pièce qui était complètement recouverte d’eau. par une étroite lucarne il a vu une colombe s’envoler qui s’est retournée (et) lui a dit [end]

[DD] Ounamir si tu veux me retrouver et l’enfant que je porte de toi alors viens au septième paradis d’Allah [end]

[NS] Ounamir est sorti tristement des sept châteaux il est remonté sur son cheval et il est rentré chez lui. il n’a pas dit un mot à sa mère il a été dans les écuries il a regardé les chevaux les uns après les autres il a choisi le plus robuste il est monté dessus il a embrassé sa mère il est parti il a galopé incessamment toujours de l’avant plus vite que le vent galopait galopait galopait toujours de l’avant plus vite que le vent il a été d’est en ouest du nord au sud dans des territoires où nul homme n’avait été aller et pourtant il ne trouvait pas son épousée et un matin il est arrivé au pied d’une montagne en haut de celle-ci il y avait un aigle qui faisait la leçon à ses petits il leur apprenait comment survoler au-dessus de son territoire comment fondre sur une proie comment se faire respecter des autres volatiles bref les leçons de la vie. les petits devaient se taire et écouter. il y a un aiglon qui a tourné la tête et au pied de la montagne il a vu un cheval avec un homme dessus alors il a voulu avertir son père [end]

[DD] papa papa [end]

[NS] l’aigle ne l’a pas supporté il a donné un coup d’aile et tous ses enfants sont tombés ils ne savaient pas voler. à cet instant précis Ounamir a levé la tête et tout de suite il a pris sa chéchia il les a récupérés [heuh] un à un puis il les a déposés par terre avec la douceur d’un père pour ses enfants. l’aigle s’est envolé il a tournoyé sept fois au-dessus de l’homme puis ses serres puissantes se sont ouvertes et il est venu se poser à ses pieds. ses ailes se sont refermées et il a dit [end]

[DD] homme tu es bon ta bonté m’a touché qu’est-ce que tu veux ? [end]

[fDD] et bien je veux monter au septième paradis d’Allah [end]

[fDD] oh c’est une grande demande homme mais d’accord je veux bien y accéder à une condition. le cheval qui se trouve derrière toi tu vas le tuer tu en feras sept morceaux de viande et sept fioles de sang à chaque fois que je franchirai un des paradis d’Allah je te demanderai un morceau de viande et une fiole de sang [end]

[NS] Ounamir s’est retourné vers son fidèle destrier. pour toute vérité il avait le cœur serré mais il a pensé à sa femme il a tué son cheval puis il est monté sur l’aigle qui s’est envolé tel une flèche il a commencé à transpercer les nuages et arrivé aux portes du premier paradis d’Allah l’aigle a dit [end]

[DD] viande et sang [end]

[NS] et Ounamir a donné un morceau de viande une fiole de sang. au deuxième paradis d’Allah. [end]

[fDD] viande et sang [end]

[NS NA] au troisième paradis d’Allah [end]

viande et sang [end]

[NS NA] au quatrième [end]

viande et sang [end]

[NS NA] au cinquième [end]

viande et sang [end]

[NS NA] au sixième [end]

viande et sang [end]

[NS] et c’est là où ça se complique. [audience coughing: aux portes] du sixième paradis d’Allah quand Ounamir a voulu donner un morceau de viande il a fait tomber le septième sur la terre il n’a pas réussi à le rattraper l’aigle a continué et arrivé au porte du septième paradis d’Allah il a dit [end]

viande et sang [end]

[NS] et à ce moment-là l’homme n’a pas hésité un instant. il a pris son poignard et il s’est coupé le gras de la cuisse puis il l’a jeté à l’aigle. moins croquant l’aigle s’est posé aux portes du septième paradis d’Allah il a regardé Ounamir et lui a dit [end]

[DD] homme regarde ce puits tous les anges d’Allah viennent s’y abreuver. à côté de celui-ci se trouve un arbre cache-toi dedans et attends ton épousée [end]

[NS] puis il est reparti. Ounamir s’est mis sur une des branches de l’olivier et il a patienté. oh des anges d’Allah il en a vu. quand un jour un jour il a vu [narrator chuckles=heh] son idéale à lui. la jeune femme était là en train de s’abreuver au puits alors il est descendu le long du tronc et sur la pointe des pieds (il) s’est rapproché il lui a mis délicatement la main sur l’épaule elle s’est retournée elle tendait ses deux bras en avant à l’intérieur desquels se trouvait le fils d’Ounamir. il a pris son enfant (et) il l’a serré contre sa poitrine puis il a embrassé l’ange d’Allah elle lui a dit [end]

[DD] je suis heureuse [narrator chuckles] que Allah nous ait réunis à nouveau tu peux rester ici [end]

[NS] ils sont partis sur le chemin de la maison. en route juste sur la droite il y avait un gros rocher alors l’ange d’Allah a arrêté Ounamir et lui a dit [end]

[DD] regarde c’est l’œil d’Allah quand le tout puissant veut savoir si les hommes sont bons il déplace ce rocher et il regarde en bas sur la terre ce qu'il se passe mais il n’y a que lui qui a le droit de le faire ne le déplace jamais [end]

[NS] puis ils ont continué leur chemin ils sont rentrés dans leur maison et ils ont commencé à vivre. les jours se sont écoulés tranquillement les semaines sont passées naturellement et les mois sont arrivés tendrement. un soir est venu le moment du grand Aïd un mo- mois après le Ramadan l’homme de la famille tourne le mouton vers la mosquée et l’égorge. alors Ounamir a pensé à sa mère il s’est demandé [end]

[DD] comment va faire ma mère pour égorger le mouton sacré? [end]

[NS] il a regardé sa femme qui était à ses côtés il l’a embrassée délicatement sur l’épaule sans la réveiller puis il a été voir son fils il a fait de même mais sur le front et il est sorti de chez lui il a pris le chemin il est arrivé devant le gros rocher qui était là il a posé ses mains dessus il a regardé vers sa maison il a pensé à sa mère il a hésité un bon moment et puis [sigh-heh]il a regardé là en bas et il a vu sa mère qui en effet avait un mouton tourné vers la mosquée et qui implorait le ciel et qui demandait [end]

[DD] [panting=heuh heuh] par Allah comment puis-je faire pour égorger le mouton sacré ? [end]

[NS] quand Ounamir a vu sa mère ainsi il a dit [end]

[DD] maman maman je t’envoie mon poignard [end]

[NS] (et) il a lancé son arme. à peine le poignard franchissait-il l’œil d’Allah qu’en petit nuage il s’est transformé. sa mère continuait à implorer le ciel on voyait ses larmes couler le long de ses joues Ounamir ne savait que faire il a hésité pendant un moment à replacer le rocher et puis les liens du sang ont parlé [end]

[DD] [panting] maman je descends je reprendrai l’aigle pour remonter [end]

[NS] et il a sauté et à peine Ounamir avait-il franchi l’œil d’Allah qu’à son tour en petit nuage il s’est transformé. depuis ce temps-là dans la région du Souss quand rarement les vieux aperçoivent un nuage dans le ciel ils disent [end]

[NF DD] tiens c’est Ounamir qui veut remonter au septième paradis d’Allah [end]