Zobeida

Jacqueline Guillemin

[NS] on raconte entre beaucoup d’autres choses qu' un jour où le calife Arun al Rachide se tenait dans sa salle du trône. son épouse Zobeida est entrée accompagnée d’un jeune esclave qui portait à deux mains une couronne d’or rouge sertie d’une gemme d’une grande beauté. après les compliments d’usage Zobeida a montré cette couronne au calife cette couronne qu’il connaissait en lui montrant que malgré ses merveilleuses qualités elle n’était pas terminée il manquait au sommet une pé- une pierre digne du reste et elle a légèrement suggéré qu’un diamant un rubis gros comme le poing ferait bien son affaire. [audience laughter]le calife a regardé son entourage il a ordonné qu’on lui rapporte un rubis gros comme le poing [end]

[fDD] j’écoute et j’obéis [end]

[NS] ils sont partis. le trésorier a été chercher dans les trésors du calife il n’a pas trouvé de rubis gros comme le poing. les émirs les chambellans les vizirs ont farfouillé fiévreusement dans les trésors de leurs épouses. il n’y avait pas de rubis gros comme le poing ils ont consulté les plus grands orfèvres de Baghdad et tous tous les orfèvres les plus grands à l’unanimité ont répondu [end]

[DD] un rubis gros comme le poing ? mais que le calife abandonne ses recherches. seul Abu Mohammed les os mous de Basra pourra posséder une pierre semblable [end]

[fDD] qui ? [end]

[fDD] Abu Mohammed les os mous de Basra [end]

[fDD] Abu Mohammed les os mous de Basra. lui seul possède des pierres de cette taille. [end]

[NS] le calife a froncé le sourcil il a regardé Jafar son vizir qui a regardé Mesrour le porte-glaive [end]

[fDD] j’écoute et j’obéis je vais je viens [end]

[NS] et il est parti. à huit cents kilomètres à Basra à marche forcée à dos de chameau de course il est arrivé à Basra il a demandé la maison d’Abu Mohammed les os mous et la foule entière qui était là l’a accompagné jusqu’au plus beau palais de la ville. au premier coup de heurtoir la porte s’est ouverte sur une nuée de jeunes esclaves richement habillés. et derrière eux se tenait le maître de maison Abu Mohammed les os mous un jeune homme charmant. [audience some laughter] Mesrour a expliqué l’objet de sa visite l’impatience du calife. Abu Mohammed les os mous s’est incliné [end]

[fDD] je suis l’esclave du calife il veut mes pierres j’en suis très honoré je vais préparer mes coffres pour lui. et vous. entrez installez-vous reposez-vous rafraîchissez-vous [end]

[NS] et Mesrour et son escorte ont été reçus comme dans un rêve. même dans le palais du calife il n’y avait pas un spectacle pareil. Abu Mohammed les os mous étant prêt sans escale et sans détour avec les chameaux chargés de coffres ils sont retournés à Baghdad et aussitôt entré(s) dans la ville on a présenté Abu Mohammed les os mous au calife. il s’est présenté avec grâce et il a parlé avec délicatesse en un langage fleuri pour faire son compliment et à la fin il a demandé au calife la permission de faire apporter les coffres dans cette salle de réception et le calife a dit qu’il n’y voyait pas d’inconvénient et les coffres ont été amenés sur les tapis. Abu Mohammed les os mous a soulevé les couvercles et il a sorti des arbres d’or aux feuilles d’émeraude qui portaient dans leurs branches des rubis des perles des topazes des saphirs des émeraudes qui avaient la taille d’une grenade d’une pomme d’une orange d’une grappe de raisin. il a sorti aussi un pavillon de jardin d’ivoire et d’or et tissé de soie et d’or où étaient incrustés des animaux familiers des oiseaux prêts à s’envoler dans les gemmes les plus rares. quand tout a été disposé en vrac sur le tapis Abu Mohammed s’est reculé de trois pas il a fait un petit geste du sourcil et tout s’est rangé harmonieusement. ensuite il a émis un petit sifflement et les oiseaux se sont mit à chanter se sont mis à chanter harmonieusement et puis tout s’est arrêté instantanément. alors le calife lui a dit [end]

[DD] qui es-tu ? d’où te viens ta fortune ? [end]

[NS] et Abu Mohammed les os mous a dit que son histoire était si extraordinaire que si on l’écrivait avec la pointe d’une aiguille dans le globe interne de l’œil celui qui la lirait en tirerait un grand enseignement. alors le calife l’a fait asseoir près de lui et il a commencé son histoire. du plus loin dans sa mémoire on l’avait toujours appelé les os mous. sa mère le matin le sortait près de la porte sous un buisson maigre et il restait là toute la journée le soleil avait beau tourner il ne bougeait pas. les mouches avaient beau venir sur son visage il ne les chassait pas les fourmis pouvaient venir le piquer il ne les chassait pas il ne bougeait pas il ne faisait rien. un paquet mou il était. alors les voisins autour à le voir si mou ils se sont dits qu’il n’avait pas de squelette c’est comme ça qu’ils l’ont appelé les os mous ça lui est resté. [audience some laughter]son père est son père est mort quand il avait quinze ans et sa mère a dû travailler chez les autres laver le linge et pour les faire vivre tous les deux. mais lui il n’a rien changé. pourtant sa mère lui disait de temps en temps [end]

[DD] mais petit lève-toi tu es grand maintenant il faut faire quelque chose il faut travailler nous sommes si pauvres [end]

[NS] mais lui continuait à ronfler. dans un grognement il répondait parfois [end]

[DD] Dieu aime les petits oiseaux il me nourrira [end]

[NS] et sa mère lui répondait [end]

[DD] petit tu as sûrement raison [end]

[NS] et la vie continuait or un jour la mère est rentrée impatiente [end]

[fDD] lève-toi izou . lève-toi lève-toi petit. notre voisin le marchand part en Chine alors lève-toi. j’ai réussi à économiser cinq pièces d’argent. alors va lui porter. demande-lui de nous acheter quelque chose que nous revendrons avec bénéfices pour pouvoir vivre. il faut que ce soit toi qui y ailles. tu es l’homme de la famille moi je ne suis qu’une femme je ne peux pas [end]

[NS] et comme je grognais comme Abu Mohammed les os mous faisait le mort elle s’est fâchée elle a pris une voix qu’il n’avait jamais entendue elle a dit [end]

[DD] allez lève-toi lève-toi et fais ce que je te conseille. parce que je te préviens si tu ne vas pas voir notre voisin et lui demander de nous acheter quelque chose. jamais plus je ne m’occuperai de toi. je te donnerai plus à boire. je ne te donnerai plus à manger. et tu mourras d’inanition [end]

[NS] et en l’entendant avec une telle violence j’ai pensé qu’elle mettrait sa p- promesse à exécution alors j’ai grogné quelque chose qui voulait dire aide-moi elle m’a tiré elle a essayé de me lever elle a essayé de me passer une manche je retombais elle tirait et elle me tendait mes babouches mais je n’essayais même pas de mettre le pied dedans et puis il a fallu mettre debout et tirer pousser tomber je gémissais comme un mourant et puis elle a poussé pour le mettre debout et puis elle a fini par ramener les os mous jusqu’à la porte et quand les voisins ont vu Abu Mohammed les os mous debout devant la porte tout le monde a crié [end]

[DD] les os mous est debout les os mous est debout [end]

[NS] les marchands ont fermé leurs boutiques tout le monde l’a accompagné on l’a porté tiré poussé jusqu’au marchand jusqu’au bord de la mer et là il a bredouillé ce que sa mère lui avait dit il a donné les cinq pièces d’argent et il a dit [end]

[DD] allez en Chine rapportez quelque chose [end]

[NS] et le marchand s’est tourné vers sa mère. le marchand lui a dit [end]

[DD] j’ai connu ton mari c’était un brave homme et je sais ton malheur avec un fils pareil alors je te promets je t’aiderai je te promets de ramener quelque chose qui te permettra de vivre [end]

[NS] et la mère l’a remercié avec effusion. le marchand est parti en Chine avec bon vent ciel sans nuages il est arrivé en Chine il a fait ce que font tous les marchands il a acheté il a vendu il a vendu il a acheté et puis il a repris le chemin de Basra toujours avec un ciel sans nuages et au bout de dix jours [end]

[fDD] il faut retourner en Chine il faut retourner j’ai oublié ma promesse j’ai oublié d’acheter quelque chose pour les os mous il faut retourner [end]

[NS] les collègues marchands qui étaient avec lui lui ont dit [end]

[DD] tu n’y penses pas. [end]

[fDD] alors que nous avons bon vent si nous allons en Chine nous allons essuyer une tempête [end]

[fDD] non [end]

[fDD] et puis pour les os mous ça vaut rien? [end]

[fDD] non il t’a donné cinq pièces d’argent et bien nous donnerons chacun cinq pièces d’or il aura fait un bénéfice [end]

[NS] et le marchand de Basra a mis dans une bourse trente pièces d’or. le voyage a continué un jour il y a eu une escale et le marchand de Basra est descendu sur le port. il a vu un homme entouré de singes cet homme vendait des singes jolis qui faisaient des tours qui étaient très amusants et le marchand a remarqué parmi ces jolis petits singes un vilain petit avorton galeux teigneux lamentable et pendant que l’homme avait le dos tourné les jolis petits singes le pinçaient le griffaient et lui pissaient dessus alors le marchand qui avait bon cœur a demandé le prix de ce petit singe [end]

[DD] tu n’y penses pas il est malade achète plutôt les autres [end]

[fDD] non celui-là. fais ton prix [end]

[NS] et le marchand a mis la main dans sa poche et a retiré les cinq pièces d’argent d’Abu Mohammed [end]

[fDD] ça te suffit ? [end]

[NS] et il a acheté le petit singe il est reparti avec le petit singe sur son dos. arrivé au bateau au moment d’embarquer le singe a quitté son épaule a sauté dans la mer. voilà la fortune des os mous qui se noie. peut-être que le petit singe était trop malheureux s’est suicidé mais aussitôt le petit singe est sorti de la mer ses petites mains remplies de perles fines. il les a données au marchand et il a replongé il en a rapporté il a replongé il en a rapporté il a même demandé au marchand de lui accrocher un petit sac au cou et il a replongé il est revenu rapporter ce petit sac rempli de perles c’était bien pour les os mous et puis il est rentré à Basra. arrivé à Basra toute la foule est venue prévenir les os mous. les os mous n’a pas bougé il ronflait toujours c’est le marchand lui-même qui est venu à la maison apporter la bourse avec les trente pièces d’or le petit singe et le sac de perles. et là quand Abu Mohammed les os mous a senti le sac a entendu le bruit des perles à l’intérieur a ouvert le sac il a vu la nacre la beauté des perles il a caressé sa joue avec la nacre il a senti l’âme des perles et il a cessé d’être les os mous il a étalé les perles il les a caressées il les a triées il les a calibrées et le lendemain il s’est levé il s’est habillé il est allé au bazar et il a appris le métier de marchand de perles puis il a acheté une boutique il a vendu des perles il en a acheté il est devenu un marchand respectable et toujours près de lui vivait le singe qui partageait sa vie qui mangeait avec lui qui buvait avec lui qui dormait près de lui et un jour le singe lui a fait signe il voulait qu’Abu Mohammed lui apporte du papier [sound quality: un alam] et de l’encre et Abu Mohammed a obéi il a rapporté ce qu’il lui demandait et le singe s’est mis à écrire [end]

[DD] Abu Mohammed va me chercher un coq blanc et rejoins-moi dans le jardin [end]

[NS] peut-être même a-t-il signé le singe et Abu Mohammed a obéi il est allé chercher le coq blanc et il l’a rapporté au singe derrière la maison dans le jardin il a vu le singe qui tenait un serpent noir il lui a donné le coq blanc et le singe a lâché le serpent noir sur le coq blanc et le singe a essayé d’étouffer le coq de l’enrouler de l’enserrer et le serpent le coq l’a piqué piqué déchiqueté tronçonné et tous deux sont sont morts étouffés three syllables alors le singe a pris le coq il a arraché les plumes blanches il les a plantées dans le jardin et arrosées du sang du serpent et plumes de coq et sang de serpent et plumes de coq et sang de serpent et plumes de coq et sang de serpent puis quand tout a été piqué en terre il a reculé de trois pas il a fait un geste et toutes les plumes du coq sont devenues les arbres d’or aux feuilles d’émeraude que le calife avait vus toute à l’heure avec les fruits de rubis de topaz de perle et de saphir et d’émeraude et le singe a souri à Abu Mohammed il a tapé du pied et il s’est envolé [sound quality: comme en lui disant] au revoir et il s’est envolé dans le ciel très haut et il est devenu un génie ailé. Abu Mohammed et le calife en entendant cette histoire a regardé Jafar son vizir il lui a ordonné de faire écrire et de calligraphier cette histoire pour qu’elle reste enfermée dans l’armoire des gestes et des hauts faits du règne du calife c’est comme ça qu’elle est venue jusqu’à nous [end]