Celui qui ne veut pas mourir 1
Gilles Bizouerne
[NS] au-delà des mers il y a un pays dans ce pays il y a un roi qui s’appelle Moquetard il règne en maître et il est apprécié de chacun pour son sens de la justice. tel jadis Salomon quand il y a un problème sur ces terres ou aux alentours on vient le voir et il tranche en posant le pour et le contre et toujours de façon équitable. ce souverain est marié à une femme qui se nomme Adania elle est belle mais elle a en plus le don de divination elle peut lire dans la pensée des hommes. souvent ce qu’elle y voit la force à se taire un matin Moquetard et Adania ont un fils ils l’appellent Adaniep l’enfant hérite les qualités de ses parents il est fier noble juste comme son père il a la beauté de sa mère sa fémininité et il a le don de divination il grandit dans les principes de la royauté les vieux conseillers lui enseignent la stratégie. les braves guerriers le maniement des armes. les hommes de la cour les bonnes manières. le temps passe les années s’écoulent un soir on voit au loin un point noir qui se rapproche il y a là un cheval avec un homme vêtu de noir dessus sans doute porteur d’une triste nouvelle un messager. il franchit les portes du château au galop il arrive dans la salle royale et là il se met à hurler [end]
[DD] Moquetard est mort Moquetard est mort Moquetard est mort [end]
[NS] à ces mots Adaniep qui se tient à côté de sa mère traverse la salle en silence et monte au premier étage du château puis il s’enferme dans une chambre et il refuse d’en sortir pourtant chaque jour sa mère vient poser sa paume sur le bois de la porte et implore son fils de sortir de cet endroit mais seul le silence lui répond un jour comme d’habitude elle va devant la chambre de son fils et lui dit [end]
[DD] mon enfant le trône est vide les gens connaissent ta valeur le peuple a besoin d’un souverain viens [end]
[NS] là pour une fois on lui répond [end]
[DD] mère où est mon père ? [end]
[fDD] mon fils Moquetard est mort [end]
[DD] je sais mère mais si je sors de cette pièce ce sera uniquement pour aller chercher mère éternité car je refuse la mort [end]
[NS] quand cette femme entend le sens des paroles de son fils et la conviction de son ton alors elle accepte elle lui confie un cheval et elle lui dit [end]
[DD] quand tu l’auras trouvé ramène-là avec toi [end]
[NS] et il s’en va au loin il galope il franchit des bois des collines il arrive un midi au milieu d’une clairière et il y a là un cerf [end]
[fDD] cerf sais-tu où je peux trouver mère éternité? [end]
[fDD] homme tu cherches ce que tu ne peux pas posséder mais regarde-moi il est écrit dans le grand livre de la vie que je ne mourrai que lorsque mes bois toucheront la cime des cieux ils n’ont pas encore poussé [end]
[fDD] mais qu’arrivera-t-il ensuite ? [end]
[fDD] ensuite je mourrai mais reste avec moi [end]
[fDD] non je ne veux pas je refuse la mort [end]
[NS] il a continué son chemin il a franchi des lacs on dit que les sabots de son cheval allaient tellement vite que la surface de l’eau ne les sentait pas il a franchi des plaines il se rendait d’est en ouest en quelques instants des vallées verdoyantes il a franchi des déserts. l’immensité de ce paysage le silence était juste rompu par le bruit de sa chevauchée il a franchi des montagnes qui paraissaient si abruptes qu’elles semblaient infranchissables et comme ça il a franchi des lacs. des lacs des plaines. des lacs des plaines des déserts. des lacs des plaines des déserts et même des montagnes. des lacs des plaines des déserts et même des montagnes. des lacs des plaines des déserts et même des montagnes. un jour il est arrivé au pied d’une immense montagne. en haut il voyait un nuage de poussière alors il a décidé de l’escalader. le lendemain matin il est arrivé là il a vu un corbeau qui toute la journée près d’un ravin passait son temps à donner des coups d’ailes sur son duvet et qui hurlait [end]
[DD] duvet dans le ravin duvet dans le ravin duvet dans le ravin quoi quoi quoi duvet dans le ravin duvet dans le ravin duvet dans le ravin [end]
[fDD] corbeau sais-tu où je peux trouver mère éternité ? [end]
[fDD] homme tu cherches ce que tu ne peux pas posséder mais regarde-moi il est écrit dans le grand livre de la vie que je ne mourrai que lorsque j’aurai recouvert ce ravin de mes plumes reste avec moi [end]
[NS] Adaniep s’est approché il ne voyait pas le fond de ce gouffre [end]
[fDD] ohé ohé ohé [end]
[fDD] et ensuite que se passera-t-il corbeau ? [end]
[fDD] ensuite je mourrai homme reste avec moi [end]
[fDD] non je ne veux pas je refuse la mort [end]
[NS] et il est parti. à force de faire du chemin il est enfin arrivé au bout du monde il a aperçu une lueur qui s’est agrandie au fur et à mesure de son approche et qui l’a presque aveuglé. quand il a été à quelques mètres il a vu une femme. quand il a été à quelques centimètres elle lui a chuchoté [end]
[DD] cela fait longtemps tu me cherches si tu veux tu peux rester avec moi tu seras mon époux [end]
[NS] il a accepté et il a vécu avec mère éternité elle lui a juste dit [end]
[DD] pendant que tu es là chaque jour il y a deux instants auxquels il ne faut pas que tu penses le jour qui est passé et celui qui est à venir [end]
[NS] pendant sept années cette femme lui a transmis ses connaissances et son savoir les secrets de la vie et les petites choses de la mort pourtant un matin Adaniep s’est réveillé il a été voir son épousée il lui a dit [end]
[DD] écoute mon aimée je vais m’en aller je vais retourner voir ma mère et le peuple qui m’attend je monterai sur le trône comme mon père l’aurait aimé et je ferai une grande nation [end]
[NS RD] (elle) lui a dit [end]
[DD] oh tu peux t’en aller tu es libre mais sache qu’un an passé ici avec moi est égal à cent ans dehors [end]
[NS] [narrator chuckles] Adaniep l’a regardé il lui a dit [end]
[DD] mais tu mens tu mens femme comment cela est-ce possible ? tu veux me garder auprès de toi m’enfin un peuple m’attend ma mère est là ne me raconte pas de mensonges je ne te crois pas [end]
[NS] puis elle lui a donné un cheval quand il a été dessus elle lui a tendu une fleur elle lui a dit [end]
[DD] regarde cette fleur blanche c’est la fleur du souvenir si quand tu arrives chez toi tu ne reconnais rien hume-la et les sept cents années qui se sont écoulées défileront devant tes yeux comme des visions [end]
[NS] puis elle lui en a tendu une seconde une rouge (elle) lui a dit [end]
[DD] celle-ci c’est la fleur de l’oubli si ce que tu vois est trop difficile à supporter sens sens-la [end]
[NS] et il est parti. après des mois de voyage il est arrivé en haut d’une montagne il a vu un ravin qui était recouvert de plumes et un corbeau immobile il a voulu caresser le volatile mais à peine sa main effleurait-il le plumage de celui-ci qu’il est tombé en poussière il a commencé à comprendre il a continué son chemin il a franchi des montagnes des déserts. des plaines des lacs des montagnes des déserts. des plaines des lacs des montagnes des déserts. des plaines des lacs. il est arrivé au milieu d’une clairière il y avait là un cerf ses bois touchaient la cime des cieux il a continué à galoper et enfin un matin il est arrivé en un endroit qu’il pensait être le sien il a vu deu- deux enfants il les a écoutés il ne comprenait pas leur langage les gamins eux le montraient du doigt et avaient l’air de rigoler il a cherché quelqu’un et contre une muraille toute fissurée il a vu un vieux [end]
[fDD] homme je s- je suis Adaniep où est le château de mon père ? où est ma mère Adania je je suis fils de Moquetard [end]
[NS] le vieux s’est redressé il s’est aidé avec sa main heh qu’il a posée sur le muret puis il s’est approché tout tremblant il a dit [end]
[DD] étranger tu voudrais me faire croire que tu es le légendaire Adaniep celui qui est parti chercher mère éternité tu parles bien tu parles comme mes aïeux l’aïeul de mes aïeux même peut-être. tu es habillé comme eux mais je ne te crois pas [narrator chuckles]mais tu m’amuses [end]
[NS] puis le vieux a pris les reines du cheval et ils sont arrivés en haut d’une colline. Adaniep est descendu il a vu là des ruines éparpillées partout et au centre une porte. au milieu de la porte un blason celui de Moquetard alors tout de suite il a pris les deux fleurs la blanche et là il a vu les sept cents années qui s’étaient écoulées en première vision il a vu des famines des enfants et des femmes au ventre gonflé. tout de suite avec ces images des taches de vieillesse sont nées sur sa main comme des fleurs qui ne demandaient qu’à germer des rides comme des vagues sur la mer ont déferlé sur son visage son dos s’est courbé comme le roseau avec le vent ses jambes se sont faites plus faibles. en deuxième vision il a vu des guerres des hommes s’entredéchirer pour rien ou pour peu. des femmes des enfants mourir. ses bras étaient ballants il perdait toutes ses forces il est tombé à genoux. en troisième vision il a vu des viols c’en était trop pour lui il a lâché la fleur rouge. en fait il était en train de contempler toute l’horreur de l’humanité quand son front allait presque toucher la terre dans son dernier souffle de vie il a demandé au vieillard la fleur rouge le vieux lui a tendue (et) il l’a humée. depuis ce temps-là en cet endroit bien précis chaque année poussent deux fleurs une blanche et une rouge. si un jour vous n’avez plus envie de transmettre votre savoir ou de donner votre amour il sera peut-être temps pour vous d’aller chercher une des deux fleurs et soyez gentil les histoires que je vous ai racontées ce soir faites les voyager à leur tour merci [end]