Les Vomissures
Marc Buléon
conte [end]
raconte [end]
[NS] je travaille depuis un moment sur la mythologie grecque et puis ce soir euh donc on a parlé des mythologies africaines et ça a été pour moi l’occasion de me plonger dans ces mythologies que je ne connaissais pas et de raconter une de ces mythologies d’une région de l’Afrique que je connais un tout petit peu pour y avoir séjourné très peu de temps [narrator laughter] mais qui m’a beaucoup touché. et cette mythologie elle vient des tribus bantoues et elle explique tout simplement comment le monde s’est créé. [pause] au commencement il n’y avait que de l’eau. une étendue sans fin une étendue d’eau noire étale et sans reflet. rien que de l’eau cernée par le néant et il y avait Boumba Boumba le grand prince noir l’immense dieu africain l’immense géant noir dans son boubou jaune toutes voiles dehors comme un vaisseau échoué dans ce désert liquide. oui il y avait Boumba. mais Boumba était seul il ne régnait sur rien ni sur personne et il allait mal. jour après jour il se sentait plus accablé plus oppressé plus lourd. quelque chose dans ses entrailles une espèce de ferment immense et universel lui oppressait le cœur. bientôt il fut pris de nausées de nausées épouvantables qui le poursuivaient toute la journée. son haleine commença à empester. il se passa ainsi quelques saisons et puis un jour l’immense dieu Boumba fut pris de frissons et le lendemain son ventre se contracta en une secousse terrible comme à l’annonce d’un séisme et bientôt les contractions se rapprochèrent incontrôlables féroces ses entrailles se nouaient sa gorge se serrait et le pauvre Boumba l’immense dieu africain criait appelait à l’aide. il n’y avait personne il n’y avait personne pour lui prendre la main personne pour lui expliquer ce qui arrivait personne pour le rassurer devant le cataclysme de ses entrailles. et il se passa toute une nuit comme ça le dieu se débattait le dieu hurlait et au matin au petit matin dans un ultime cri il vomit le soleil et tout à coup la lueur la lumière envahit le monde. Boumba reprit sa respiration il se sentait plus léger maintenant comme si son corps était enfin en paix. il observait que sous l’effet du soleil l’eau s’évaporait et formait des nuages il commençait à distinguer les premières limites du monde des rochers noirs des bancs de sable des berges qui émergeaient de la brume mais soudain les contractions le reprirent plus violentes encore le que la première fois mais cette fois-ci ce fut très court et le qu- dieu l’immense dieu Boumba cracha la lune. quelque chose restait bloqué dans sa gorge il cracha une nouvelle fois et ce furent les étoiles. Boumba haletait il sentait dans ses chairs venir d’autres remous. alors il s’introduisit deux doigts dans la gorge et il recracha neuf créatures vivantes il y avait là le léopard l’aigle la tortue un tout petit poisson nommé Yeo. il y avait aussi le scarabée et le héron il y avait le chevreau et en dernier il recracha l’éclair. l’eclair zigzaguant et tout plein de feu. aussitôt les bêtes se mirent à créer le scarabée s’occupa des insectes le crocodile engendra les serpents les grands iguanes et les lézards. le chevreau après avoir gambadé toute la journée au au au tout autour de la terre s’occupa des bêtes à cornes et puis après chacun y mit un peu son grain de sel chacun commença à inventer des espèces nouvelles sans en référer à Boumba ni à qui que ce soit d’ailleurs [audience some laughter] enfin dans les vomissures de cette prodigieuse indigestion cosmique apparurent les hommes ils sortirent tous en même temps englués dans une espèce de lit blanchâtre dont ils se défirent rapidement ils se frottèrent le visage et ils se reconnurent entre eux ils étaient suffisamment nombreux pour former tout un peuple. trois de ces hommes décidèrent alors de s’occuper de l’organisation du reste du monde. tous les trois étaient des fils de Boumba bien sûr du dieu Boumba qui maintenant voyait sa création avec un grand plaisir. le premier de ses fils Nganga s’occupa de créer les fourmis blanches. rien n’est plus beau qu’une fourmi. rien n’est plus parfait qu’une fourmi. et pourtant rien n’est plus simple mais le seul problème avec les fourmis c’est que une fois que vous en avez fabriqué une il faut en reproduire des milliers car les fourmis blanches euh supportent très mal la solitude [audience laughter] et et Nganga Nganga très vite épuisa toute sa force tout son courage à fabriquer des fourmis et il dut renoncer un jour. il avait beau travailler jour et nuit travailler sans arrêt sans arrêt il ne voyait jamais la fin de son œuvre et en fait toute son ardeur ne contribua qu’à le fatiguer d’avantage et un jour il mourut à la tâche en léguant ainsi sa chair au peuple qu’il avait créé. les fourmis reconnaissantes à Gang Nganga de leur avoir donné la vie et bien les foumis les fourmis plongèrent au plus profond du monde et là tout au fond elles trouvèrent la terre noire et grasse elles la remontèrent jusqu’à la surface péniblement elles en recouvrirent tous les bancs de sable stériles et c’est comme ça que le deuxième fils de Boumba Jogonda put semer la première graine. et cette graine poussa elle profita elle grandit et elle grandit tant qu’un jour elle devint un arbre immense qui porta tous les fruits du monde. c’est alors que le troisième des fils de Boumba décida de se mettre au travail mais il avait beau travailler il avait beau avoir des projets grandioses et insensés il ne réussit jamais à faire autre chose que le grand milan royal que le héron avait oublié de créer. tout était donc pour le mieux et Boumba l’immense dieu africain était ravi de voir ainsi toutes ces créatures. seulement une d’entre elles continuait à lui causer du tourment c’était l’éclair. il allait tout de travers comme un homme ivre il partait de-ci de-là brûlant tout sur son passage ravageant des choses brûlant incendiant et sans sans se soucier de l’énorme travail que Boumba avait fait. alors le grand géant africain dans son immense boubou jaune décida de poursuivre l’éclair et il le poursuivit jusqu’aux confins du monde et là il l’attrapa et il l’enferma dans le ciel après quoi il alla voir les hommes il leur expliqua rapidement comment se procurer du feu à l’aide des bâtons de friction et puis il continua sa promenade de village en village et il fut bien épaté de voir la bonne tournure que les choses premières avaient prises et Boumba le grand géant africain toujours dans son boubou jaune ce grand géant ce grand dieu qui maintenant se sentait beaucoup mieux depuis qu’il avait évacué ce poids énorme qui lui pesait sur l’estomac et bien ce grand dieu retourna s’installer dans son domaine préféré c’est-à-dire à la source des eaux et là il retrouva sa respiration ample et légendaire [end]