Les Trois Cheveux d'Or
Elisabeth Calandry
[NA] et qui est-ce? qui est-ce qui passe dans le bois sans déchirer sa robe de soie [end]
le soleil [end]
[NA] le soleil. moi j’en ai une toi tu en as une et la plus petite herbe des champs en a une aussi [end]
l’ombre [end]
[NS] l’ombre. la pente est raide l’homme est vieux et la nuit noire. la pente est raide c’est des troncs c’est des branches c’est des ronces enchevêtrées. l’homme est vieux mais il grimpe il est vieux il est usé il est fatigué mais il avance. la nuit autour elle est noire. elle danse la nuit. elle danse autour de lui. elle danse et elle souffle et elle souffle la chandelle que l’homme a dans une petite lanterne une toute petite chandelle de rien du tout. et l’homme avance. la pente est raide il se hisse il se tire. et l’homme à mesure qu’il monte on dirait qu’il fond. et sa lumière elle est de plus en plus petite. mais il monte il monte parce que là-haut sur la crête il y a une lumière. là-haut sur la crête il y a la lumière d’une maison et l’homme s’agrippe l’homme passe à travers les ronces il souffle il fond en montant il n’est plus qu’une ombre qu’une lueur. et sa lumière à lui elle baisse de plus en plus mais il continue il s’approche il est à quatre pattes. plus que quelques pas. il s’appuie sur la porte et la porte s’ouvre et il tombe. il s’écroule. et quand il s’écroule sa lampe s’éteint. la vieille la vieille femme qui est assise devant le feu se lève elle s’approche de l’homme elle se baisse elle le soulève il est léger comme un papillon elle le prend dans ses bras elle s’assied et elle le berce elle le berce et elle l’embrasse elle le berce et elle l’embrasse elle le berce et elle l’embrasse et elle le berce et elle l’embrasse. au milieu de la nuit ce n’est plus un vieillard papillon qu’elle berce et qu’elle embrasse. c’est un beau jeune homme un beau jeune homme blond et elle le berce et elle l’embrasse le jeune homme. elle le berce et elle l’embrasse. et la nuit s’avance le ciel blanchit et celui qu’elle a dans les bras ce n’est plus un beau jeune homme c’est un enfant. un petit. un garçon tout blanc. elle le berce et elle l’embrasse et la nuit n’est plus noire elle est blanche. l’aube arrive et juste à l’instant de l’aube elle arrête de le bercer elle lui arrache trois cheveux d’or et les trois cheveux d’or tombent ils sonnent et quand les trois cheveux d’or ont sonné l’enfant saute de ses genoux. il court vers la porte il ouvre la porte il se retourne et il lui sourit l’enfant doré. et puis il repart il court il court il s’élance il s’envole et c’est le soleil de l’aube [end]