Conte de Bourgogne 2. Comment les hommes savent se torturer le coeur et l'esprit au risque de perdre le bonheur qu'ils ont dans la main
Claude Mastre
[NF] après avoir longtemps débattu la discussion s’est un peu calmée parce que le duc de Bourgogne en personne s’est levé. lui aussi racontait des histoires autour de cette table et il leur a dit [end]
[NS] écoutez mes seigneurs écoutez comment parfois les hommes savent se torturer le cœur et l’esprit au risque de perdre le bonheur qu’ils ont pourtant dans le creux de la main. vous connaissez tous l’histoire de ce petit seigneur campagnard un hobereau un peu rustaud un peu lourdaud hmm ? il s’était marié en mille quatre cent cinquante-huit il était riche il possédait bonnes terres grands troupeaux belle maison il disposait de serviteurs nombreux mais surtout il avait une excellente épouse gouvernant sa maison avec beaucoup de clairvoyance et de doigté. elle était bien plaisante à regarder plaisante par devant et par derrière tout autant [audience some laughter] et elle était fidèle absolument fidèle. à la place du mari combien d’hommes auraient béni leur sort hein? et bien lui non il ne bénissait rien et il surveillait tout il contrôlait il vérifiait il surveillait l’apothicaire l’aubergiste le forgeron il surveillait le prévôt le curé le ménestrel qui passait par là mais surtout le meunier qui sifflait à tue-tête en travaillant du matin jusqu’au soir. il suivait les servantes porteuses de secrets et puis sa femme bien sûr il la suivait il la poursuivait. ah elle était bien à plaindre de vivre aux côtés d’un d’un époux grincheux et soupçonneux comme celui-là. quand elle sortait dans cette robe blanche avec du jaune par-là il ne savait pas pourquoi mais ça le plongeait pour la journée dans l’humeur la plus noire. comme tous ceux qui sont rongés par cette malédiction il s’épuisait la vie dans des plaisirs bien misérables. au bout d’une année de mariage à peine il était tout plat tout gris comme une vieille oreille d’âne [audience some laughter] un matin juste à la pointe de l’aube un merle bienheureux se met à chanter. le bonhomme dormait toujours d’un œil il se retrouve debout sur ses deux pieds courant partout dans le jardin persuadé que c’était pas le merle qui chantait mais le meunier venu là pour siffler une aubade à sa femme [audience some laughter] il a fini par se rendre compte que le merle moqueur continuait sa chanson tout en haut du grand chêne et là il s’est vu lui tout en bas pieds nus dans la rosée du petit matin en chemise et bonnet de nuit. une apparition. il a pris peur [end]
[fDD] je veux guérir je veux la certitude je veux guérir coûte que coûte [end]
[NS] il avait dit ça à voix haute le merle a entendu [end]
[fDD] tu veux guérir et où t’adresser ? aucun conseil d’ami aucune médecine ne vient jamais à bout du mal de jalousie tu es cuit mon ami tu es cuit cuit cuit cuit [audience laughter] [end]
[fDD] alors je vais implorer Dieu je vais faire des pèlerinages [end]
[fDD] pèlerinages ? pèlerinages ? tu vas laisser ta maison sans espionnage mais à ton retour tu seras cuit mon ami tu seras cuit cuit cuit cuit [audience some laughter] [end]
[fDD] oh mais alors je vais charger mes serviteurs de faire en mon nom dévotions et offrandes chaque matin j’honorerai le saint du jour ça vaudra bien dix pèlerinages [end]
[NS] le merle en haut du chêne s’est mis à rire [end]
[DD] graisse la patte au saint du jour l’évêque te dira bonjour mais le bon dieu restera sourd ha ha ha [end]
[NS] mais le merle pouvait toujours rire et chanter le bonhomme ne l’entendait plus il venait de réaliser qu’on était le vingt-neuf septembre c’était la Saint-Michel un très grand saint. il a couru vers la maison pour éveiller ses serviteurs [end]
[fDD] vous allez visiter toutes les chapelles toutes les églises vous pousserez jusqu’à la cathédrale de la ville je veux que tous les Saint-Michel du pays reçoivent bonne offrande sonnante et trébuchante et puis dévotions bien chevrotantes et pendant que vous y serez vous ferez brûler en plus un gros cierge de bonne cire devant le diable en forme de dragon que Saint-Michel écrase de son saint pied et et à ce diable aussi vous direz une prière à mon intention ça fera bonne mesure allez [end]
[NS] serviteurs sont partis ils ont exécuté les ordres scrupuleusement ils sont revenus ils ont fait un rapport détaillé [end]
[DD] bon [end]
[NS RD] a dit le bonhomme [end]
[DD] bon je vais bien voir qui de Dieu ou du diable sera capable de me guérir [end]
[NS] et il a passé le reste de la journée comme à son habitude d’une abominable façon le soir est venu il s’est couché sans la toucher près de son excellente épouse et il a tourné longtemps dans sa tête farcie les idées noires qui s’y trouvaient mais la nature a eu le dessus il s’est endormi comme il atteignait le beau milieu de son meilleur sommeil voilà que celui à qui il avait offert un gros cierge de bonne cire lui apparaît en songe et quel songe ! le diable s’approchait il tenait par la bride le premier cheval d’un lourd attelage il y avait trois chevaux rouges comme braise trois chevaux noirs comme charbon luisant la charrette était verte lourdement chargée les quatre essieux grinçaient le diable était vêtu de noir et de rouge et il avait entre les cornes un bonnet de charretier. il s’est arrêté juste à la hauteur du bonhomme ébahi [end]
[fDD] je suis venu te remercier de ton offrande [sound effect=laughing=heuh heuh] voilà belle lurette que pareille aubaine ne m’était pas arrivé mais mon ami tu n’as pas perdu ta peine ce que tu m’as demandé tu l’auras [end]
[NS] et le bonhomme a bien senti que le diable tout en parlant lui glissait un anneau à l’un des doigts de la main gauche [end]
[fDD] aussi longtemps que cet anneau restera en place tu seras guéri de ta jalousie. cet anneau te dira à chaque instant où est ta femme d’où elle vient où elle va et surtout ce qu’elle fait tu ne seras jamais cocu mon ami tu ne seras jamais cocu à moins d’y consentir toi-même tu peux dormir tranquille sans craindre l’infortune tu peux aller en paix en toute certitude [end]
[NS] et le diable a reculé d’un pas il a touché son bonnet comme pour saluer et il a rejoint l’attelage. à nouveau le jaloux a vu passer devant ses yeux les trois chevaux rouges les trois chevaux noirs la charrette verte et les essieux grinçer et rouge vert et noir tout s’est fondu dans le brouillard du rêve mais le brouillard du rêve c’était comme si un tout petit agneau avait posé sa laine douce sur le cœur du jaloux. il flottait sur un petit nuage bleu il était bien il sent il sentait à à son doigt la chaleur de l’anneau ça le rendait câlin un peu taquin un peu coquin un merle gentiment faisait des vocalises il était bien dans les fumées douces du rêve dans lequel il entendait passer des soupirs mais les fumées douces du rêve se sont tout à coup dissipées car le jaloux a cru sentir qu’on lui dérobait son anneau il s’est réveillé en sursaut et il a découvert que l’un de ses doigts était profondément enfoncé dans le derrière de sa femme [audience laughter] ce qui les a plongés l’un et l’autre dans une très grande stupéfaction [audience some laughter] on ne sait pas ce qu’il advint par la suite du jaloux et de son excellente épouse [audience some laughter] on ne sait pas quel parti ils ont pu tirer du diabolique anneau l’histoire ne le dit pas et c’est diablement regrettable [audience some laughter] [end]