Iragnaka 1
Isabelle Sauvage
[NS] mais souvent le rat Iragnaka se promenait mélancolique autour de l’étang. ses amis le voyaient ils n’osaient rien dire jusqu’au jour où Mantaraka s’est approché du rat et lui a dit [end]
[DD] mon ami un ami est une douce chose il est à l’écoute de vos besoins il sait trouver les paroles il sait partager les souffrances. mon ami dis-moi. quel est ce poids lourd que tu portes sur ton cœur quelle est quelle est ton histoire quelle est ta quête ? [end]
[NS] et Iragnaka après un instant d’hésitation a accepté de raconter son histoire [end]
[DD] j’ai creusé la terre [end]
[NS] a dit Iragnaka [end]
[DD] j’ai creusé la terre de mes propres mains et j’ai bâti une forteresse. il y avait trois salles superposées. la plus profonde nous y gardions les trésors conquis sur l'ennemi et les vivres la seconde j’y avais mes appartements et ceux de mes lieutenants. la troisième la plus vaste la plus près du sol. voûtée. mille hommes en armes s’y tenaient en permanence. il y avait des souterrains qui permettaient d’aller jusqu’à la rivière pour aller y puiser de l’eau jusqu’à l’intérieur de la ville pour pouvoir y pénétrer sans être vu et jusqu’à la forêt pour pouvoir fuir en cas d’alerte. il y avait cent portes toutes gardées il y avait une poterne et à la à côté de la poterne une tour de gardes de trente pieds de haut creusée dans un vieil vieux tronc d’arbre. on pouvait y voir tout le pays ah j’étais un prince parmi les rats [end]
[NS] a dit Iragnaka [end]
[DD] tous les soirs j’emmenais mon peuple en ville nous allions y chercher bien sûr de quoi nous nourrir mais aussi quelques glorieux combats dont nous espérions revenir avec un riche butin. j’étais un chef parmi les rats. un jour des éclaireurs sont venus me chercher ils m’ont dit maître nous avons trouvé un endroit où la nourriture semble riche abondante odorante odorante. bien sûr c’est un peu difficile mais au chef il n’y a rien d’impossible [end]
[NS] cet endroit dont parlaient les éclaireurs du rat c’était un temple tenu par un moine servant. toute la journée le moine allait d’une maison à l’autre d’une porte à l’autre pour quêter. quand on lui donnait de la nourriture il la plaçait dans un pot ce pot il l’attachait à son épaule. le soir quand il rentrait chez lui il y cuisait son dîner et ce qui restait il le laissait dans le pot il l’accrochait à la poutre qui tenait le toit de sa chambre avec un clou le plus haut possible et c’est cette nourriture que les rats avaient décidé de de prendre. et en effet Iragnaka raconte que quand ils sont arrivés il a vu le pot il était haut situé mais. au chef rien d’impossible n’est-ce pas il a sauté dans le pot c’était merveilleux viandes en sauce riz parfumé pâtisseries gorgées de miel d’amandes de pistaches. il a distribué à ses compagnons il a mangé lui-même et ce jour-là ils ont vraiment fait bombance et le rat continua en racontant [end]
[DD] nous y sommes retournés le lendemain et encore le jour d’après et tous les jours de la semaine et c’était chaque fois varié c’était chaque fois différent oh bien sûr le moine avait bien essayé de nous en empêcher il avait même coupé en deux une canne de bambou avec laquelle il nous frappait un coup à droite un coup à gauche mais nous nous sautions nous faisions des bonds des roulades des roulés boulés des esquives c’était un merveilleux terrain d’exercice pour les jeunes guerriers. ah que la vie était belle en ce temps-là que c’était facile [end]
[NS-DD] jusqu’au jour où un visiteur est venu au temple ce visiteur c’était un moine mendiant comme celui qui tenait le temple. ils étaient très amis et souvent ce visiteur venait rendre visite à son ami et celui-là s’appelait Vrihatsvic cela signifie larges fesses mais l’on dit aussi le bien assis et sans doute il portait assez bien son nom parce qu’il avait une certaine stabilité dans les idées et cet homme-là cet homme-là quand il venait c’était surtout pour avoir de grandes discussions avec son ami. ils aimaient discuter de points délicats de théologie. après le dîner pris rapidement ils sont allés tous les deux dans la chambre du moine et là ils ont commencé à parler enfin plus exactement le visiteur a commencé de parler c’était un long monologue et et l’autre répondait par monosyllabes il avait l’air préoccupé il regardait il écoutait mais lorsqu’il a attrapé sa canne de bambou et qu’il s’est mis à taper à tout hasard sur le mur un coup. sur le pilier un coup. sur le sol un coup. là le visiteur s’est mis en colère et il a dit [end]
[DD emb] mon ami j’ai fait des lieues et des lieues des heures de marche dans la poussière de la route pour venir te rendre visite et c’est ainsi que tu me reçois ? très bien je partirai dans la nuit à l’instant même et j’irai dire partout sur mon chemin la façon dont on traite les hommes de bien dans ce temple [end]
[NS-DD] l’autre lui a dit [end]
[DD emb] mon ami je t’en prie ne te mets pas en colère contre moi j’ai en effet quelques soucis mais tu le sais. j’attends tes visites comme la terre assoiffée attend les pluies de mousson. ne te mets pas en colère écoute-moi plutôt. toutes les nuits un rat vient il saute dans le pot à aumône il dévore tout ce qu’il y a dedans. le reste il le distribue à ses amis. le lendemain je n’ai plus rien à donner aux serviteurs qui s’occupent du temple alors ils refusent de travailler [end]
[DD emb] et bien [end]
[NS-DD] lui dit Vrihatsvic [end]
[DD emb] tu n’as qu’à le le suspendre encore plus haut [end]
[fDD emb] aussi haut que je le suspende ce rat parvient toujours à sauter encore plus haut il est doté d’une force prodigieuse une force prodigieuse [end]
[fDD emb] mais il doit y avoir une cause à cette force prodigieuse voyons voyons [end]
[NS-DD] et le moine se met à réfléchir [end]
[DD emb] comprends-tu il n’y a pas de conséquence sans cause il n’y a pas de fumée sans feu. si ce rat est doté d’une force prodigieuse il faut en trouver la cause [end]